vft : Quelle est la relation entre Copernicus et les services d’intervention d’urgence incendie ?
MP : Copernicus fournit en continu des données relatives aux sols, aux océans, à l’atmosphère et au climat. Nous disposons d’un ensemble de données sur les incendies de forêt des 18 dernières années, qui est cohérent en soi. Les interactions avec les services de gestion des urgences sont multiples. Nous avons un projet appelé Aristotel 2 qui utilise des informations satellitaires dans le but de procéder à la surveillance de l’activité des feux et de fournir des prévisions quant aux risques d’incendie. Nous surveillons également la qualité de l’air ; nous estimons les émissions et fournissons des prédictions sur la façon dont les incendies pourraient évoluer.
L’un des défis avec ces données est que l’estimation du système actuel n’est pas faite en temps réel, mais donnée avec un jour de retard, et qu’elle n’est faite que deux fois par jour ; par conséquent, les informations disponibles ne sont pas nécessairement les plus utiles pour planifier la gestion des incendies ou la lutte contre les incendies, mais cela nous fournit toutefois un contexte du développement inhabituel des incendies dans une région ou un pays en particulier. Il s’agit d’une analyse rétrospective plutôt qu’une planification prospective. Nous sommes en train de développer un nouveau système qui sera mis à jour plus fréquemment, avec à peine quelques heures de retard sur le temps réel. Une autre amélioration sur laquelle nous travaillons est l’ajout de deux nouveaux satellites, actuellement à l’essai, capables de surveiller des incendies plus petits, que nous ne pouvons pas détecter avec ceux actuels. Nous ne sommes pas encore en mesure de nous auto-adresser.
vft : Quelles sont les données qui permettent de classer un grand incendie de forêt comme un événement extrême ?
MP : Nous ne disposons pas de données nous permettant de savoir si la cause des incendies est naturelle ou intentionnelle, cependant nous savons que certaines conditions météorologiques particulières, l’état de la végétation et l’insuffisance d’humidité peuvent causer des incendies. La limite de ce que nos prévisions d’incendie de forêt classent comme un très haut risque de méga-incendie est la puissance, en termes d’intensité, la vitesse, la superficie ravagée et la capacité de modifier l’atmosphère et créer son propre climat.
L’OMM travaille sur des systèmes d’alerte précoce des incendies, principalement dans les tropiques, en partant d’un projet établi en Indonésie. Il permet de prédire si une année sera mauvaise en matière d’incendies dans une région donnée. Les prévisions saisonnières des incendies, l’échelle régionale, le nombre d’incendies et la fumée résultante. Mais également, les informations fournies sur le terrain. Modéliser les émissions et observer la fumée et les particules contenues.
vft: Avez-vous observé des changements quant à l’activité des incendies de forêt en Europe au cours des dernières années ?
MP: En effet. Ce que nous avons pu observer est qu’il semble y avoir une tendance à la baisse de l’activité des incendies de forêt en Europe du Sud ; en Espagne, au Portugal, en Italie, et même, dans l’ensemble de la Grèce. Il s’agit de plus en plus d’incidents isolés, mais très intenses et mortels. Lorsqu’ils se produisent, ils se transforment généralement en des phénomènes particulièrement graves. Mais dans l’ensemble, l’année dernière a été particulièrement calme.
Il y a deux ans, l’Europe du Nord a souffert beaucoup plus d’incendies de forêt, qui ont été causés, notamment en ce qui concerne la Scandinavie, par des conditions anormalement chaudes et sèches. Nous avons donc pu voir de grands incendies en Suède et même en Norvège. En fait, la valeur totale des émissions estimées pour cette année en Europe du Nord est quasi égale à la valeur totale des émissions estimées en Europe du Sud, qui a connu une année beaucoup plus calme.
L’ensemble de données historiques sur les risques d’incendie contient « L’indice forêt météo », qui est basé sur des variables météorologiques, telles que la température, les précipitations, la vitesse du vent et l’humidité relative.
Depuis l’année 2000, pratiquement toutes les années montrent un risque d’incendie supérieur à la moyenne tant en Europe du Sud qu’en Europe du Nord, accompagné, ces derniers temps, d’un certain nombre d’événements désastreux, comme Pedrógão Grande (Portugal) en 2017 et la saison d’incendies 2018 en Scandinavie.
vft: Qu’en est-il du Royaume-Uni ?
MP: Il y a eu un grand nombre d’incendies cette année. Le logiciel que nous utilisons actuellement n’est pas en mesure de détecter les petits incendies, et parfois, même les grands incendies peuvent passer inaperçus s’ils se produisent dans des zones nuageuses. Néanmoins, nous avons eu de grands incendies de landes que nous avons pu voir avec Sentinel 2. Nous avons pu également observer une dispersion de fumée, quelques jours après qu’ils aient brulé.
L’année dernière, nous avons pu voir un grand nombre d’incendies en Écosse. En matière d’évolution : notamment dans le Sud et l’Est de l’Angleterre, il pourrait y avoir un risque accru dû à un climat plus chaud et plus sec. Dans les lieux où les incendies sont moins fréquents, le changement climatique génère une situation susceptible de causer des incendies.
Les incendies de forêt font naturellement partie de nombreux écosystèmes, mais la fréquence à laquelle ils se produisent affectera la rapidité de récupération de l’écosystème. Le temps pluvieux du Royaume-Uni contribue à la pousse de la végétation, par conséquent, les répercussions des feux de forêt ne sont pas inquiétantes pour le moment, mais les choses peuvent changer.
vft : Pourriez-vous nous fournir des données quant aux émissions ?
MP : Concernant les grands incendies, la fumée peut s’élever à plusieurs kilomètres dans la stratosphère et se disperser sur des régions entières, en entraînant la pollution de l’air de zones éloignées du lieu où les flammes se trouvaient réellement. À l’échelle mondiale, la fumée des incendies de forêt est à l’origine de plus de 339 000 décès prématurés par an. Les incendies dans l’Arctique au mois de juin ont établi un nouveau record en matière d’émissions de carbone en 18 ans de surveillance. La quantité de dioxyde de carbone émise par les incendies de forêt dans l’Arctique est déjà 35 % plus élevée que le chiffre pour l’ensemble de 2019. Les données fournies par le service de surveillance de l’atmosphère montrent que jusqu’au 24 août, 245 mégatonnes de CO2 ont été libérées d’incendies de forêt cette année, alors que le chiffre pour l’ensemble de l’année dernière était de 181 mégatonnes.
vft : Que se passe-t-il en Sibérie ?
MP : Ce qui se passe en Sibérie ressemble beaucoup à ce que nous avons vu en 2019. Nous avons vu de grands incendies de forêt à travers tout le cercle arctique et nous avons pu observer très clairement qu’ils étaient dus à des anomalies climatiques de l’humidité du sol. Le sol est nettement plus sec, il existe des conditions surfaciques plus chaudes et les incendies brulent la végétation qui est très sèche et se propagent très rapidement sur de vastes extensions. Au cours de cette année, nous avons observé la poursuite de cette tendance. Mais au mois de juillet, ce fut bien pire, avec une vague de chaleur et aucun moyen ou ressource d’extinction, les incendies duraient plus longtemps. L’année dernière, nous avons vu bruler des incendies de la seconde semaine du mois de juin jusqu’à la fin du mois d’août. Cette année, ils ont également commencé durant la deuxième semaine de juin et à l’approche du mois de septembre, les incendies de forêt continuent de ravager l’Arctique. Les incendies ravagent la toundra ainsi que la taïga (forêt boréale). Cela est important, car les incendies dans la toundra s’avèrent moins fréquents que ceux dans la forêt boréale, et peuvent être dus à la fonte du pergélisol.
L’Arctique dans son ensemble se réchauffe beaucoup plus rapidement que le reste du monde. En Sibérie, les températures extrêmes sont habituelles, car cette région connaît le changement saisonnier de température le plus ample de la planète. Le changement de température maximum moyen est d’un peu plus de 60 °C, d’environ 40 °C au mois de janvier à 20 °C en juillet, à des latitudes proches de 60 °N. Cette région connaît par conséquent une évidente tendance au réchauffement sur plusieurs décennies et elle est également soumise à de grandes variations de température.
Au mois de mai, le service Copernicus de surveillance du changement climatique (C3S*) a constaté un hiver et un printemps inhabituels, avec des températures de l’air à la surface supérieures à la moyenne tout au long de la période ; jusqu’à 10 °C plus élevées. La température maximale estimée par ERA5 fut également exceptionnelle ; le 20 juin, l’Arctique a connu la température la plus élevée jamais atteinte au mois de juin, 37 °C.
vft : Quels sont les effets et les pronostics ?
MP : L’énorme bulle d’air chaud localisée sur la Sibérie est restée remarquablement stable au-dessus du nord de la Russie, ce qui signifie que l’Arctique canadien a été en grande partie épargné par l’envolée des températures. Mais en Russie, la vague de chaleur est en train de modifier le paysage avec de graves conséquences. Fin mai, une chaleur extrême aurait pu dégeler le pergélisol d’un site industriel à proximité de la ville arctique de Norilsk, entraînant ce que certains critiques appellent l’une des pires catastrophes environnementales de la Russie. Plus de 20 millions de tonnes d’hydrocarbures se sont échappés d’une zone de confinement et se sont déversés dans une rivière voisine en provoquant une marée rouge, ce qui a poussé le président Vladimir Poutine a déclaré l’état d’urgence.
Actuellement, 1,77 million d’hectares sont ravagés par les flammes, et on s’attend à ce que la superficie totale des incendies dépasse les 17 millions d’hectares ravagés en 2019.